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Lavis noir

26 juin 2008

63. Epilogue

de_nouvelles_aventures

Epilogue

     Tonton Louis… Bien sûr qu’il l’avait reconnu, tonton Louis. Depuis la première fois, où il avait inventé le coup d’la perruque qui tourne, quand il avait cherché à zigouiller Josy, il l’avait reconnu. Sauf que reconnaître qu’il l’avait reconnu, c’était trop pour Loïc… Et puis y avait trop de trucs qui lui remontaient en vomi de souvenirs, avec des morceaux de passé dans les vomissures. Et puis, avouer qu’on avait un gros pourri d’égorgeur dans la pas belle famille, c’était pas glorieux… Et puis… et puis… Et puis merde, jamais ça finirait cette putain de barquette Lu, et cette mère dont il avait eu si honte, et ce procès où il avait dû tout raconter, les séances derrière la fente de la planche, les violences de tonton Louis, jusqu’à l’accident… L’accident. Seul témoin, il était. A six ans, obligé d’raconter l’irracontable. Et du coup, tonton, il avait mal pris la chose. « Petit merdeux », il avait gueulé, « Graine de fellouze ! J’te surinerai en sortant, et toutes tes fatmas et tous tes putains d’bicots FLN ! Tous, j’vous buterais, parole de commando ! ».
     Le syndrome du vétéran, qu’ils avaient expliqué, les psy de l’armée. Y avait bien eu des témoins, des p’tits gars des environs du coin, qui étaient d’la classe à Louis, pour expliquer que là-bas, dans les Aurès, il avait pas mal trucidé l’autochtone, même femelle, et qu’il y avait pris un peu trop goût. Et du coup, de retour au pays, il était d’venu saigneur de cochons… Et toujours au poignard de commando… Alors, le coup de l’Odette Lekervelec, fallait s’y attendre un jour ou l’autre : la voix du saigneur appelle la brebis, disait le proverbe dinanadez. Vingt ans. Il avait pris vingt ans, le 20 avril 1962, un vendredi.
     Et le 20 avril 1979, après dix sept ans de taule, et trois ans d’remise de peine, il sortait de Jacques-Cartier, à Rennes. C’était aussi un vendredi. Le samedi matin, Louis Rueut, dit Louis le Blédard, rodait autour de Montparnasse, à la recherche d’un bar qu’un compagnon de Jacques-Cartier lui avait recommandé : « Tu verras, Albin, le taulier, il connaît tout l’monde et son frère, à Paris. Tu lui donnes un nom, et hop, trois jours après t’as l’adresse, la situation familiale et les relations du pékin. Il est un peu onéreux, mais ça vaut l’coup». Et voilà comment tonton Louis était réapparu, dans la vie de Loïc et la mort d’Elo, Miche et Gina. Pour Lulu, Garrin ne put jamais savoir comment Louis se trouvait près du P’tit Poucet ce jour là. Peut-être suivait-il Fabio ?... Ou bien il cherchait Toussaint ?... Ou même Hortec lui-même ? De toutes manières, l’inspecteur principal Garrin en avait désormais la preuve : Loïc Lekervelec, peintre de fiction, était bien le Cercle Rouge où tous les personnages de cette sinistre farce devaient se retrouver, pour y crever, égorgés ou flingués. Et pourtant, il ne pouvait rien contre lui. Strictement rien, le juge Teurman avait été formel ; même pas pour faux et recel de faux, on pouvait le choper : en la matière, pas de preuves, pas de délit. Garrin montra une dernière fois à Loïc, une des pièces à conviction de l'affaire: le lavis noir et bien sanguine maintenant. Fabio l'avait dans la poche quand il fut flingué par les Hortec. La balle à fragmentation, ya pas, ça éclabousse, et le Van Dongen, maculé , n'avait jamais aussi bien porté son nom: La Mort.  L'inspecteur lui conseilla également d’aller prendre un peu le frais du côté du Grand Ouest, vu que la famille Hortec avait l’deuil méchant, et qu’on avait vu toute une flopée de calabrais mal embouchés aux funérailles à Fabio. Sans parler des antillais énervés d’la place Clichy.

     C’est comme ça que ça s’est passé, aussi vrai qu’jsuis bistro depuis plus d’vingt cinq piges. Lekervelec, j’ai plus entendu parler d’lui. Paraîtrait qu’il a fini peintre et poivrot, du côté d’la Bretagne. Moi j’dis que quand même, s’gâter la pogne au chouchen, c’est bien triste. Parce que ça avait beau être une enflure, le Loïc, rapport au coup d’pinceau, si c’était pas Michel Ange, il aurait quand même pu faire la nique à plus d’un qui s’la joue façon artiste, et j’cite personne. Vlad s’est reconverti, et il tient un primeur, du côté de Simplon. Vlad, son truc ç’avait toujours été l’herbe, en définitive!
     Quant à Josy - pauvre agnelle -, elle a fini par se remettre doucement. Elle a jamais revu ses sous ni Loïc, bien sûr. Garrin lui a fait un brin de gringue, elle a un peu cédé, mais elle avait plus l’goût à la chose de dire «je t’aime». Aujourd’hui, elle me fait des extras, au rade, et ses espoirs de belle vie dorée sur tranche se sont bien envolés… Et c’est pour ça qu’à
ceux qui viennent me dire qu’le destin ça n’existe pas, moi j’réponds : faut voir. Et que quand tu nais la morve au nez, y a pas, t’es condamné à t’moucher toute la vie.
    Sinon... j’te remets un Picon bière, Vébé ?...

FIN

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23 juin 2008

62. C'est lui

naseaux

62. C'est lui

     Garrin reposa sa gomme Mallat à demi mangée, se cura le nez, et en tira un poil enrobé, tellement cette histoire lui avait encombré les naseaux. Édouard Garrin était énervé... Lulu, Mario et Forain Hortec, les plus pourris des manouches, Fabio Nera, le plus rital des pourris, Toussaint et ses ouailles, les plus antillais des ordures, tout ce beau monde avait choisi de calancher sur son territoire, dans l'dix huitième, place Clichy, à deux pas d'la butte où sévissait ce putain d'fumier de Lekervelec, seul trait d'union entre ces Messieurs et ces Mesdames égorgées façon mouton, même pas Halal. Pour autant l'inspecteur principal Garrin, n'arrivait pas vraiment à lui en vouloir: en un sens , Loïc Lekervelec, si, comme le supputait Garrin, même sans l'vouloir, était à l'origine de cette après midi de la Saint Barthélémy, il avait quand même réussi à débarrasser la capitale d'un flopée de malfaisants. C'est donc avec un subtil mélange de curiosité malsaine et de condescendance pateline qu'il attendait la déposition de  Loïc Lekervelec. En même temps, l'inspecteur principal Garrin espérait bien, sournoisement, apprendre où en étaient de leur relation le peintre et la serveuse, Loïc et Josy, pour laquelle le flic avait un penchant gaullien, vu qu'il portait à droite... Et puis, aussi, il y avait cette histoire de barbu... Drôle d'histoire... Enfin, drôle... Fallait voir.

     - Bon, Lekervelec, j'vais pas te la jouer façon chat et la souris: je sais pas ce que tu as pu raconter à tous ces messieurs d'la faisanderie, mais toujours est-il qu'aujourd'hui Paname est en deuil d'une bonne partie de sa fine fleur truandesque... Chuuut! Tais-toi... je sais c'que tu vas évoquer: j'suis pas dans l'coup, m'sieur l'inspecteur, j'y suis pour rien, c'est pas moi et tout l'toutim... Alors, j'vais t'dire, Kerpourri, ferme ta gueule et écoute moi. J'vais t'raconter une histoire, mon con... Un histoire qu'à la fin, juste t'auras à me dire oui ou non. D'accord?
     - Mais, m'sieur l'inspecteur, j'comprends pas... C'est quoi cette histoire?...
     - Ta gueule. Et écoute moi. Voilà: tu as voulu jouer à Magic Color et te lancer dans le faux et usage de faux façon Machin... Van Dongen, ça t'a inspiré... Et du coup t'as voulu l'faire façon caïd... Quand la chanteuse, Elo, t'as confié son lavis, t'as pété un câble, et tu t'es vu millionnaire rapidos, multipliant les p'tits pains plus balaize que Jésus. Mais voilà, t'as eu affaire à des gros méchants bien mauvais... Et , par le fait, tes potes et tes potesses ont morflé...
      - Mais ça n'a rien à voir, m'sieur l'inspecteur... Fabio, Hortec et tout ça, ça n'a rien à voir avec Josy et Vlad... Merde, à la fin ,quoi...
      - Je sais, Lekervelec, je sais... Et tu le sais aussi. Mais dis-moi, camarade, quand tu m'as dit que le barbu de la mort qui tue, celui qui a saigné Josy et qui vous a planté, le punk et toi, et les autres aussi, Elo et Miche, quand tu m'as dit que tu l'connaissais pas, connard de merde, tu crois pas que tu chiais un peu dans la colle?... Non?...
      - J'vois pas c'que vous voulez dire, commissaire, j'vois pas...
      - Inspecteur, connard, inspecteur... Alors ce que je veux dire, enflure, c'est que le barbu, tu l'connais. Trop, même, tu l'connais... C'est ton pote punk qui nous a mis sur l'coup... Comme quoi! Parce que lui, le barbu, il l'a reconnu, et même que je comprends pas que tu l'aies pas reconnu, toi aussi, chez Josy, vu que t'étais quand même le premier concerné, non?... Tiens, voilà des photos... regarde... Y a des vielles coupures de presse qu'on a retrouvé chez toi, et puis celle-là, prise il y a trois jours, pour l'anthropométrie, quand on l'a chopé, le barbudos... Il a pris un coup d'vieux, hein... N'empêche, c'est bien lui... Avec une petite vingtaine dans les gencives, mais quand même... non?
     - Oui...
     - Alors?...
     - Ben oui, j'le reconnais...
     - Alors, vas-y, crache le, putain d'bordel de merde de raclure d'bidet de Lekervécouille de chiasse de merde.
     - Oui... Tonton Louis... c'est lui.

19 juin 2008

61 - Signez ici Ça f’sait un petit moment que

boucherie

61 - Signez ici

     Ça f’sait un petit moment que Lulu suivait, de loin, Fabio. Il avait d’abord prévu d’le flinguer chez lui, à la papa, genre Mauser et silencieux, mais il s’était dit qu’après tout un petit assassinat d’plein air, façon règlement de compte, même si c’était signé gitan, ça laissait moins de traces. Alors il repérait les déplacements du rital, histoire d’optimiser la chose de l’tuer. Lulu finassait, et prenait plaisir à finasser: de sentir Nera à sa main, ignorant la menace et si vulnérable, ça le faisait bicher, le manouche. Ah il avait voulu le niquer, ben il allait voir, ce putain de calabrais qui serait niqué!...

     Depuis bientôt une semaine qu’il le filait, camouflé en plaque d’égout et discrétos, il avait repéré que Fabio Nera se rendait tous les jours, sur l’coup de trois heures d’l’aprème, dans un rade place Clichy, le Petit Poucet, et qu’il s’asseyait en terrasse, semblant attendre quelqu’un ou guetter quelque chose. Cette terrasse, se disait Lulu, c’était vraiment l’endroit idéal pour tirer un zig depuis une moto : il suffisait de descendre doucement l’avenue de Clichy, en venant de la Fourche, de tourner gentiment sur la place, devant le rade qui faisait l’angle, de lâcher la purée sur le bonhomme et de s’enquiller les Batignolles, poignée dans l’coin, direction les Ternes. Du velours. Mario, son frère piloterait, et Forain, son neveu, une gâchette en or, se chargerait d’le rafaler. Lulu, quant à lui, se posterait en terrasse, histoire de bien profiter du canardage : pour Lulu, une belle mise à mort, en public, balle au cœur ou dans la tête, jus d’aorte ou bouts d’cervelle, ça valait toutes les corridas d’Andalousie. Quand, en plus, c’était pour motifs sérieux et personnels, la satisfaction du devoir accompli se mêlait au plaisir de l’esthète.

     Y avait maintenant plus de quinze jours, depuis que Lekervelec lui avait balancé Toussaint, que Fabio Nera, aveuglé par la haine vengeresse, cherchait à choper l’antillais pour lui faire la peau. En bon catholique pratiquant, Fabio avait décidé que celui qui avait tué par l’épée, périrait par l’épée, et, à défaut de navaja malagueña, il se baladait avec une dague florentine attachée le long de son mollet, histoire de faire à Toussaint, une boutonnière grand format, du nombril au menton, bien profonde. S’il était bien rencardé - et il l’était - le Nègre Fou devrait tôt ou tard passer au Petit Poucet. Le tout c’était d’être patient. Mais depuis la mort de Gina, il était devenu terriblement patient.

à suivre

     « La moto, une Honda sept cent cinquante Four orange venait de tourner en bas de l’avenue, et avait ralenti à la hauteur du café. A ce moment un homme, brun, s'est levé et s’est avancé vers un antillais qui sortait du bar par l’allée entre les tables de la terrasse. Tout en s’approchant, l’homme s'est penché et a sorti un long couteau très fin de sous son pantalon. Il s'est serré contre l’antillais et a planté son couteau dans son ventre et il a remonté jusqu’au cœur. Alors, le passager de la Honda, qui avait un revolver dans la main, est descendu de la moto et a commencé à tirer sur l’homme avec le couteau. Il a tiré trois fois, et les balles ont traversé le corps de l’homme au couteau et celui de l’antillais. Tous les deux sont tombés sur une femme qui s'est mise à hurler. Alors deux autres antillais, qui étaient derrière le premier, celui qui avait été poignardé, ont sorti des pistolets mitrailleurs de leurs vestes, et ils se sont mis à tirer sur le passager de la moto avant qu’il soit remonté dessus, puis sur le conducteur qui commençait à partir sur le boulevard des Batignolles. C’est alors que la moto a zigzagué et a percuté un homme barbu qui traversait le boulevard. Puis un autre homme, qui était assis à la terrasse, derrière l’homme au poignard, s'est levé, a sorti un petit pistolet de sa poche et il a tiré à son tour sur les deux antillais qui sont tombés à côté des premiers morts. L’homme s'est mis à courir vers la moto qui était couchée sur son conducteur, et s’est agenouillé près de lui en pleurant. C’est alors que l’homme barbu que la moto avait percuté et qui s’était relevé en se tenant la jambe, s'est penché vers l’homme au petit pistolet, a sorti un gros poignard de sous sa veste, l’a attrapé par les cheveux et l’a égorgé si fort que sa tête a basculé en arrière. Elle ne tenait plus au corps que par la nuque.»
     Garrin, se tut, soupira, posa la feuille dactylographiée sur le bureau et la tourna vers Jeannot, le loufiat du Petit Poucet :
     - Bon, voilà. Si vous n’avez rien d’autre à ajouter, signez ici…

2 juin 2008

Un patron de bistro première victime masculine de

gosh

Un patron de bistro première victime masculine de l’égorgeur de Montmartre ?

On est sans nouvelles du célèbre bistrotier bavard Briscard !en aurait’il trop dit ?

L’inspecteur principal Garrin, interrogé par  notre célèbre reporter Happy T reste très évasif sur le sujet :

« J’en sais foutre rien, de c’qu’il est devenu, mais ça collerait assez ! C’était lui aussi une connaissance de Lekervelec »

Soyez au rendez vous jeudi prochain pour plus d’information !

29 mai 2008

60 - Récupérer le lavis

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60 - Récupérer le lavis

    Il s’agissait maintenant, pour Lekervelec, de renouer contact avec Lulu, histoire de palper, enfin, le fruit de sa misérable arnaque. C’est au P’tit Bat’, où toute l’histoire avait commencé, que les hommes se causèrent:
    - Salut Lulu, qu’avait finement attaqué Loïc. Tu prends quoi ?
    - Salut Barbouille… Ben un p’tit jaune s’rait pas d’refus…
    - Alors patron, deux jaunes !
    - Alors, y paraît comme ça, qu’tu voulais m’voir, que m’a dit l’taulier ?...
    - Ou… enfin, y avait rien de pressé… Juste, je voulais voir, si tu avais pu voir, pour le Van Dongen, là…
    - Oui, j’m’en doutais… D’ailleurs j’voulais t’en parler, mais vu qu’c’était pour une mauvaise nouvelle, j’ai un peu tardé… Tu sais c’que c’est: c’est plus facile de mettre à un âne une carotte dans l’cul qu’un coup d’bâton sur la gueule!
    Loïc commençait à avoir, comme une drôle d’impression, avec un début de suée sur le front.
    - Allons bon ! Une mauvaise nouvelle ?... Pas de clients, c’est ça ?...
    - Pas d’clients, pas d’clients… si on veut. Mais, bon, pas d’clients surtout parce que pas d’marchandise… Enfin, quand j’dis pas d’marchandise, j’veux dire pas d’marchandise potable, quoi…
    - Comment ça, pas d’marchandise potable ?...
    - … ou pas vendable, en tout cas !
    - Pas vendable ? Qu’est-ce que tu m’racontes, Lulu ?! Un authentique lavis et sanguine de Van Dongen, pas vendable ?...
    - Ben, il paraîtrait comme ça que le côté authentique de la chose ne saute pas aux yeux des pros du truc…
    - Quoi ?!! S’étrangla Loïc. Mais c’est impossible, j’suis sûr que c’est un authentique Van Dongen… Je peux l’prouver !
    - Ah oui ? Parce que Monsieur Barbouille est expert auprès des tribunaux, peut-être ?!!

    Loïc suait maintenant à grosses gouttes ; l’une d’entre elles vint troubler le pastis qu’il n’avait pas encore mouillé. Il hésita un court instant, mais, tout à la rage de se faire doubler, il balança :
    - Auprès des tribunaux p’têt pas, Lulu, mais auprès de certains marchands d’art ritals, si.
Lulu Hortec resta impassible ; seul un vague sourire tordu lui déforma un peu la bouche. Il but son jaune cul sec, et lâcha:
    - Je crois qu’il va falloir que tu me causes, Barbouille. Et que tu causes bien. Parce que Lulu Hortec, quand il comprend pas les histoires qu’on lui raconte, il fronce les sourcils et des fois il s’énerve. Alors commence-la doucement par le commencement, cette belle histoire de Lavis. Vas-y, prends ton temps, mais soit clair. Je pense que c’est mieux.
    Alors, la voix tremblant à peine, Loïc Lekervelec, truand de comédie et bandit de carnaval, se déballonna. Il se lâcha et se relâcha… Tout. Il raconta tout à Lulu, qui l’écoutait sans rien dire. Comment il avait récupéré le lavis d’Elo, comment il avait eu l’idée de faire deux faux lavis, comment Miche en avait filé un à Fabio et lui un autre à Lulu, et comment il avait été sollicité par Fabio, et comment il avait remis le vrai Van Dongen dans le circuit… Et maintenant, ce putain d’rital allait l’enfler en voulant niquer l’bénef à Lulu. Lulu fit à nouveau son vague sourire tordu .

    - Taulier !... Remets nous donc deux pastis. Mon ami Loïc a beaucoup parlé et il a soif. Barbouille, tu vois, j’aime bien quand je comprends les histoires, surtout les histoires compliquées: j’ai l’impression d’être intelligent. Par contre je ne comprends plus du tout l’histoire que m’a racontée Nera. Alors j’ai l’impression d’être bête, et ça m’énerve. Je crois que je vais le tuer, Nera. Ça lui apprendra à me prendre pour un con. Et je vais récupérer le lavis.

à suivre


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26 mai 2008

59 - Sans barbe

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59 - Sans barbe  

    L’inspecteur principal Garrin était perplexe en quittant Josy: visiblement l’émotion qui l’avait envahi était partagée, et il avait un peu honte d’avoir, en quelque sorte, abusé de sa position de fouille merde assermenté, pour la p’loter sans vergogne et la questionner sans retenue. N’empêche : ce qu’il avait recueilli sur Loïc Lekervelec le confortait dans le sentiment que toute cette histoire tournait autour du pseudo peintre… Ses relations avec le punk, avec Fabio, et même avec Lulu Hortec, dont il avait découvert, grâce à Josy, qu’il le fréquentait assidûment au P’tit Bat’, tout ça, et le reste, désignait Lekervelec comme le dénominateur commun de cette histoire. Quant il posait la multiplication Elo x Miche x Vlad x Josy x Hortec x Nera x Gina x Toussaint, le résultat donnait invariablement Lekervelec, et que Lekervelec! Jusqu’à son enfance, marquée, d’après c’que lui avait raconté Josy, par un drame genre assassinat, qui semblait le prédestiner à attirer les embrouilles comme la misère attire les curetons; sur ce drame Josy - pauvre agnelle - n’avait pas pu lui dire grand-chose, sinon que quelqu’un était mort violemment quand il était jeune, en Bretagne, et que souvent, Loïc, qui parlait en dormant, évoquait en murmurant « le sang dans la barquette, le sang, partout ». La barquette… Garrin ne pouvait s’empêcher d’évoquer mentalement une sombre histoire de marin et de bateau, et du coup Loïc Lekervelec lui apparaissait presque comme un aventurier un peu trouble.

    Quand l’inspecteur principal entra dans la chambre de Vlad, avec son pack de Kanter, le punk était en train de se moucher dans un morceau de pain. Un peu écoeuré, Garrin lui fit remarquer :
    - Fais gaffe quand même : va pas t’arracher les naseaux avec la croûte…

à suivre

    - Va mourir, lui répliqua Vlad, qui avait retrouvé un peu de vigueur. C’est ces enculés de l’hosto, qui n’ont pas d’tire-jus, qui m’obligent… j’vais quand même pas m’moucher dans mes draps, merde… 
    Garrin s’abstint de lui faire remarquer qu’il aurait pu s’torcher l’nez avec du papier cul, et posa le pack de bière sur la petite table blanche, à côté du lit.
    - Merde, putain, d’la Kanterbräu, pour faire dodo ! Z’auriez pas pu prendre d’la Kronembourg, la bière qui bourre ?!...
    - Ecoute Vladimir, si tu commences à m’gonfler les glandes des couilles, j’sens que tu vas passer direct de l’hôpital à la case prison sans passer par la case départ…
    - La vache, la vanne de la mort qui tue ! Sinon à part Monopoly, vous faites quoi, dans la vie lieutenant ?!...
    Garrin avait horreur qu’on lui rappelât son appellation officielle d’officier de police, mais, plus par tactique que par conviction, il désamorça le conflit :
    - Bon, écoute, j’suis pas venu en flic, mais en voisin : j’allais juste interroger Josy, et j’me suis dit que je pourrais en profiter pour te faire une petite visite de réconfort… Maintenant, j’peux reprendre ma bière sous l’bras et l’offrir à Jo le clodo, en bas de Rochechouart…
    - Ok, c’est bon… excusez-moi pardon, mais j’ai les nerfs ici… j’aimais encore mieux les torgnolons à Casse-Trogne: au moins j’existais, j’étais pas un numéro d’chambre ! Vous savez comment qui m’appelle le toubib? Trente deux! Le trente deux par ci, le trente deux par là… On lui faire une petite ligature au trente deux et il a bien dormi le trente deux ?... Hier, tellement j’en ai eu marre, que j’lui ai laché deux grosses caisses dans l’pif quand il s’est penché pour voir ma cicatrice… Et j’lui ai dit comme ça : j’en ai encore trente deux… dans, Doc’, si ça vous tente ! Il était dégoûté, le bib’…
    Sans faire la fine bouche, Garrin fut, lui aussi un peu dégoûté, mais surtout décontenancé par la soudaine faconde de Vlad, qu’il attribua à la pompe à morphine sur laquelle le punk appuyait généreusement. Il se dit que c’était peut-être le moment de le faire causer un petit peu :
    - Dis-moi, en parlant de docteur, celui qui t’a planté, dans la chambre à Josy, tu l’as vu, non ?...
    - Oui, et pas qu’un peu, même… Parce que sa barbe, tout de suite j’ai vu qu’elle était pipeau… Du coup j’ai plus vu qu’son visage comme sans barbe… Mais c’est qu’après, quand j’étais par terre que j’me suis souvenu d’où j’le connaissais… Et sans barbe

22 mai 2008

58 - Edouard

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58 - Edouard

    Depuis que Lekervelec lui avait sorti une histoire à sa façon, comme quoi Toussaint l’Haïtien avait été le propriétaire d’une superbe navaja qui, justement, avait servi à tuer la première victime du Bourreau d’la Butte, et que les autres crimes ou tentatives, ressemblaient foutrement au premier, Fabio ne pensait plus qu’à avoir un petit entretien amical avec l’antillais. Bien sûr Loïc avait un peu omis de rappeler la cession de la lame à Miche, et avait seulement laissé entendre que Toussaint était plus souvent blindé qu’à son tour, et qu’à Pigalle, tout l’monde l’appelait Nègre Fou. Du coup, l’entretien auquel songeait Fabio ressemblait plus à de la distribution d’bastos, qu’à un cinq à sept dans les salons du Lutetia!

    De son côté l’inspecteur principal Garrin avait été faire un p’tit tour du côté de Lariboisière où se trouvaient les toutes dernières cibles du Bourreau, Josy et Vlad ; ce dernier revenait de loin, puisqu’aussi bien le couteau du faux barbu lui avait sectionné la fémorale. C’était bien là l’intérêt, de se faire poignarder en milieu hospitalier: il avait pu bénéficier de soins aussi immédiats qu’attentifs, le corps médical se sentant quand même un peu péteux d’avoir laissé pénétrer dans l’hosto, un boucher de l’acabit du Bourreau! Garrin, autant par délicatesse que par calcul, avait apporté un bouquet de fleurs - des anémones - pour Josy et un pack de six - Kanterbrau - pour Vlad. Il laissa les bières à la porte de la chambre à Josy - pauvre agnelle - et entra :
    - Bonjour, Mademoiselle… Vous allez mieux, on dirait, non ?...

    - Oh, bonjour Monsieur Garrin….

    - Tenez, vous demanderez à la fille de salle de vous les mettre dans un bocal...

    - Oh, Monsieur Garrin, comme c’est gentil… Des anémones… mes fleurs préférées…
    - Ah, ben c’est jour de chance, alors !

    Jour de chance mon cul : Garrin avait eu l’tuyau par Lekervelec lui-même quand il l’avait interrogé au sujet de l’agression d’la rue du Roi d’Alger, et, en gros pourri de flic républicain qu’il était, il s’était dit qu’un petit fayotage, ne pouvait que favoriser les confidences. D’où le bouquet. Tout en causant, Josy s’était redressée, tant bien que mal, et le drap qui la recouvrait avait laissé s’échapper une jambe nue. Josy, mignonne sans être vraiment belle, avait cependant des jambes magnifiques, au mollet joliment galbé , à la cheville fine et à la cuisse ferme et musclée. Le drap l’avait découverte jusqu’au creux de l’aine, et Garrin, en eut une grosse suée et une violente érection. Il balbutia en verlanant:
    - Ne gébou pas… euh… bougez comme ça… vous allez vous faire monter la fièvre…
    - Oh, vous savez Monsieur Garrin, ici il fait si chaud, de toutes manières que la fièvre elle monte toute seule…
    Ce disant Josy, ingénue candide, sortit sa deuxième jambe du drap et vint la croiser haut sur l’autre. La fièvre, Garrin la sentait bien monter, du slop aux oreilles, qu’il avait brûlantes. En même temps l’émotion le submergeait, tant Josy - pauvre agnelle -, avec son gros pansement autour du cou, ses pauvres yeux battus et son sourire malade lui inspiraient de compassion. Avec ces putains de jambes, comme ça, involontairement impudiques, avec ce putain de sourire et ces putains de yeux, d’un coup Garrin eut une grosse boule dans la gorge. Il s’assit au bord du lit et posa doucement une main sur la cuisse fraîche de Josy :
    - Josiane, il faut que nous parlions tous les deux…

    Josy se méprit sur ses intentions :
    - Oh, Monsieur Garrin, pas ici…

    - Si, ici, justement, il faut que vous me disiez tout sur Loïc Lekervelec… Parce que, que vous le vouliez ou pas, il est au cœur de cette histoire… Comment et pourquoi, c’est que je cherche à savoir, et vous, Josiane, vous pouvez m’y aider.
    - Ah, inspecteur, c’est pour ça, alors…

    Garrin lui caressait maintenant le haut de la cuisse, tout près du pli du drap qui laissait apparaître la naissance de sa toison pubienne. Josy ferma les yeux quand il lui dit :
    - Appelez moi Edouard.

à suivre

19 mai 2008

57 - Soudain dangereux

soudain

57 - Soudain dangereux

    Loïc savait qu’en s’exhibant ainsi au Nord Sud, il courait le risque de voir Toussaint débouler pour lui faire la peau… Mais le plaisir des premiers rayons de soleil sur Montmartre, et la perspective de pouvoir, enfin, tirer un peu de blé de ce putain de lavis noir, lui faisait trouver la vie légère et le danger grisant. Bref Loïc continuait de se comporter comme un gros naze, et il en était heureux.
     Pourtant ce ne fut pas Toussaint, qui pointa son museau le premier, à la terrasse du Nord Sud, mais Fabio, qui sortait de la maison Pouleman. Le rital projetait de s’enfiler, dans l’ordre, un expresso serré puis les escaliers de Jules Joffrin quand il aperçut Lekervelec, pérorant devant un Perniflard. Aussi sec il s’approcha de sa table, et, sans y être invité, s’assit :
     - Salou, Loïc… Come va ?
     - Oh !... Fabio… Qu’est-ce que tu fous ici ?...
    Rapidement le calabrais rencarda Loïc sur le malheur qui l’accablait, et l’immense chagrin qui l’envahissait:
    - Gina, Loïc, Gina elle faisait lé pipes comme toi tou fais dé la peintoure : avec dou sentiment et en mettant les mains ! Qué zamais, zé né rétrouvérais oune salope comme elle…
    Loïc était d’autant plus sincèrement désolé qu’il voyait ses ambitions niqueuses réduites à peau d’balle! Décidemment, il avait pas d’bol, avec les femmes: soit celles qu’il convoitait se f’saient trucider, soit celle qu’il convoitait plus se f’sait rater! Du coup il en eut comme une montée de vague à l’âme et il se commanda un deuxième jaune. Son coup de blues n’alla tout de même pas jusqu’à lui faire perdre l’esprit de lucre, et il embraya en finesse sur le Van Dongen :
    - Alors, sinon au fait, pour le lavis, t’as vu ?... Je t’ai mis un mot pour te dire le vrai…  A mon avis, un petit lavis comme ça, vu que Van Dondon ça cote pas mal, tu devrais pouvoir en tirer au moins dans les douze plaquounettes… tranquille…
    - Zé sais pas… faut qué zé vois, vou que zé souis séconde main sour lé trouc. Ma qué zé vais té régler l’expertise, tou né t’inquiètes pas…
    - Oh, c’est bon, y a pas l’feu… Et puis t’as d’autres préoccupations, j’imagine…
    - Oui, qué zé souis dans lé deuil… Mais tou sais lé plou drôlatique ?...
    - Non ?...
    - Et bien figoure-toi qué lé faux lavis, et bien c’était Miche qu’elle mé l’avait confié !
    - Non !
    - Si, Miche, qué zé appris son assasinazione ! Zé n’aurais même pas bésoin dé la boutter !
    - Ça alors, j’en reviens pas ! Miche faussaire !... Qui aurait pu penser…

    Loïc souriait intérieurement : pour une fois il était content de lui. Son tour de passe-passe avait fonctionné impec, et il allait entuber rital et manouche en douceur, façon caves mal dessalés. Dans des moments comme ça Loïc Lekervelec se sentait surfer sur la crête de la vague de la Prospérité triomphante, poussé par les vents puissants de la Gloire et de la Consécration victorieuses, prêt à s’abandonner dans les bras de l’Opulence Mammaire de la Gloire Paresseuse et de la Satisfaction du coup tordu mené à terme. Tout à l’ivresse de son succès anticipé, et un peu, aussi, de son deuxième Pernod, Loïc se dit qu’il pouvait peut-être pousser encore un peu son avantage, histoire de nettoyer l’terrain; comme Fabio lui avait largement fait part de son intention de faire la peau à l’assassin de Gina, s’il le chopait, il se risqua à une ultime manœuvre bien dégueulasse, dont il espérait beaucoup sur le plan de sa sécurité personnelle:
    - Quand même, Toussaint, avec son putain d’sabre, si j’avais su…
    - Qué Toussaint ? Qué sabre ?... s’enquit Nera, avec de petits yeux, de tout petits yeux plissés et soudain dangereux…

à suivre

15 mai 2008

56 - Le bout du bout

Garrin_lui_conseilla_de_laisser_la_police_s_occuper_du_tueur

56 - Le bout du bout

(à suivre)

    Pendant que se déroulait cette passionnante conversation, Loïc Lekervelec, assis à la terrasse du Nord Sud, qui avait sorti ses tables aux premiers rayons d’avril, regardait passer les filles, dont certaines avait osé les jambes nues. Soucieux, il repensait au barbu… Quand même, il aurait dû en parler aux flics… Mais il pouvait se gourrer aussi ; Et puis, il préférait essayer de régler ça tout seul : il avait trop à perdre en allant se répandre chez l’inspecteur Fouillemerde. Et du coup, il préféra évoquer Gina: en voilà une, que lorsqu’il aurait fini ses affaires avec Fabio, il allait quand même essayer d’se la coller au bout du bout…

    L’inspecteur croyait rêver : jamais, même dans les études de cas les plus tordues qu’il avait eu à traiter à l’Ecole Nationale de Police, il n’avait vu un tel enchevêtrement d’histoires. Et il lui manquait encore une pièce du puzzle : d’où Lulu Hortec tenait-il un vrai Van Dongen, puisque, selon ce qu’aurait déterminé Lekervelec, le lavis que Miche tenait d’Elo, et que d’ailleurs il avait été chargé de fourguer lui-même, était un faux. Cette histoire de lavis lui tournait la tête, et surtout, l’inspecteur principal Garrin ne voyait pas trop comment elle pouvait s’articuler avec les meurtres ou tentatives de meurtre ; la seule certitude, il ne sortait pas de là, était que Loïc Lekervelec était la pierre angulaire et la clé de voûte de cette cathédrale sanglante. Il en était là de ses réflexions, quand Durdan entra :
    - Boss, on a une nouvelle tentative sur les bras…
    - Quoi ?...
    - C’est à l’hosto, la môme à Kerpourri, là, elle a encore failli s’faire taillader par l’homme à la barbe… Même qu’il a planté Vladimir Sobanski au passage.
    - Le punk ? Mais qu’est-ce qu’il foutait là ?...
    - Ben c’est vous, patron, qui l’avait envoyé à Lariboisière. Alors, on a pas tout compris ce qu’il nous a raconté, mais en gros il s’est paumé dans les couloirs de l’hosto et s’est retrouvé dans la chambre de la Josiane avec un médecin barbu qui lui a planté un couteau dans la cuisse…
    - Un médecin barbu ?... Et on l’a chopé, ce médecin barbu ?
    - Non, mais on a récupéré son schlass dans la jambe à Sobanski… Un gentil poignard commando de trente cinq centimètres, avec un côté scie, histoire de trancher dans l’vif du sujet!
    - Putain Durdan, j’crois bien qu’on a un furieux sur les bras… Tu vas m’faire un relevé d’empreintes sur le poignard, et tu compareras avec tous les relevés qu’on a, chez la gamine Josy, sur Miche, chez Nera et chez la chanteuse…
    - Héloïse Grandchemin ?... Mais elle, c’était pas avec la navaja à Toussaint ?…
    - Fais comme j’te dis mon p’tit camarade, fais comme j’te dis : j’ai idée qu’on s’est mis l’doigt dans l’trou du cul, avec cette histoire de lame sanglante. Ah, et puis tiens, tu m’ressortiras le rapport d’autopsie de la chanteuse, justement…
    - Ok Boss, c’est vous l’Boss, finit par grommeler Durdan.

    Fabio, sûr de ses protections et de sa bonne foi sur ce coup, n’avait pas hésité à raconter par le menu, à un Garrin fasciné, l’histoire des deux lavis, venant l’un de Miche et l’autre de Lulu, lavis attribués à Van Dongen, mais dont l’un était forcément faux. Et, donc, pourquoi il avait fait appel à une de ses connaissances, peintre à Montmartre, pour expertiser les lavis en question. Ce dernier avait remis son diagnostic à Gina, qui, sûrement, fut assassinée peu après. Mais Fabio ne pensait pas que Loïc pût être coupable : il n’aurait pas laissé la trace de son passage aussi bêtement… Mais de toute manière, il allait retrouver le salaud qui avait dézingué sa Gina, et « lé touer avec dé la raffinérie ». Garrin lui conseilla de laisser la police s’occuper du tueur, et lui indiqua, en prenant congé, qu’il le tiendrait au courant.

12 mai 2008

55 - Huit lignes

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55 - Huit lignes

    C’est l’inspecteur Bouffignac, finement surnommé Bouffi, du commissariat central du vingtième, place Gambetta, qui appela son collègue Garrin. Ils avaient sur les bras, lui dit-il en substance, une jolie jeune femme à laquelle un malade avait coupé la tête. Signe particulier : le trancheur avait opéré, selon le légiste, au moyen d’un couteau, genre cuisine ou poignard de chasse dentelé. Du coup, vu l’histoire du Bourreau d’la Butte, Bouffi s’était demandé si ça intéresserait pas Garrin d’avoir la copie du rapport, voire même de joindre les affaires. Garrin fut, dans un premier temps, moyennement enthousiaste : si on commençait à lui refiler toutes les histoires d’égorgement de Paris, il allait se retrouver avec plus de macchabs sur les bras qu’il n’y avait de curetons au Sacré Cœur. Mais quand Bouffi lui précisa que la fille décapitée était la gonzesse d’un certain Nera, trafiquant d’art bien connu en haut lieu, l’inspecteur principal Garrin eut un frisson qui lui parcourut l’échine des omoplates à la raie culière, et dit simplement à Bouffi :
    - Ok, j’achète : passe-moi l’dossier de ta décolletée du cigare…
    - C’est tout bon Raymond, j’t’envoie la sauce par bélino !

     La femme à Fabio !... Le Bourreau d’la Butte faisait des extras dans l’est parisien, et lui fournissait un prétexte en or pour causer avec le calabrais, les yeux dans les yeux. Comme quoi, les hasards de la vie… Quoique, à bien y réfléchir, Garrin avait du mal à ne voir que du hasard, dans cette série noire. Il s’était fait un p’tit schéma perso, qui mettait en évidence les relations des protagonistes de l’affaire entre eux. Or, sur les neuf concernés, seul Lekervelec pointait sur plus de trois noms. Presque tout passait par Loïc Lekervelec, qui semblait bien être au cœur de cette histoire de merde. Et pourtant, il ne pouvait être impliqué dans aucun meurtre. Alors, le hasard, n'est-ce pas...
    - Cé qué zé né comprends pas, commissario, cé qué cé vous qui traitez lé meurtre dé ma femme…
    - Inspecteur, Monsieur Néra, inspecteur… C’est que votre femme a été assassinée dans des conditions qui ne sont pas sans rappeler différents meurtres ou tentatives de meurtre qui se sont déroulés dans mon secteur.
    - Ma, zé vois… mais miei amici dé la préfectoure, m’ont raconté qué c’était la brigade criminelle dé Paris qui traitait lé dossier…
    - C’est un peu plus compliqué, Monsieur Nera. Le juge d’instruction, Monsieur Teurman, est effectivement de la section criminelle du Parquet…
    - Dou parquet ? Ma qué vous vous fissez dé moi ! Et perche pas lé carrélage !...
    Garin eut une petite suée : le rital faisait péter ses relations et jouait l’indignation aux petits oignons… Il lui allait falloir jouer fin. Très fin.
    - Non, mais, Monsieur Néra, le parquet, c’est le terme qui désigne les juges qui sont debout, qui marchent, qui enquêtent, quoi… Mais peu importe. L’important c’est que l’enquête de police soit coordonnée par une seule équipe. Et je vous rassure : nous bénéficions de tous les services de la criminelle…
    - Bon, zé vous accorde lé crédit dé lé doute qué vous vous moquez pas… Ma qué lé chagrin mé fé m’emporter… Alors, qué voulez-vous sapere ?...
    - Voilà, Monsieur Néra : avez-vous une quelconque idée de la dernière personne à avoir vu votre compagne vivante ?...
    Garrin était presque sûr que c’était lui, Fabio Néra, à avoir vu Ginette Palatino vivante, et il pensait bien en tirer des conclusions…
    - Ma, jé pense qué c’est oune artiste, qui dévait mé faire l’expertise dé peintoures… Lékervelec, qué cé son nome… Loïc Lékervelec… 

   Mentalement Garrin traça deux nouveaux traits sur son petit schéma. Deux lignes qui partaient de Lekervelec pour pointer vers Fabio et Gina. Deux lignes en plus, ce qui lui faisait maintenant huit lignes …

(à suivre)

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