61 - Signez ici Ça f’sait un petit moment que
61 - Signez ici
Ça f’sait un petit moment que Lulu suivait, de loin, Fabio. Il avait d’abord prévu d’le flinguer chez lui, à la papa, genre Mauser et silencieux, mais il s’était dit qu’après tout un petit assassinat d’plein air, façon règlement de compte, même si c’était signé gitan, ça laissait moins de traces. Alors il repérait les déplacements du rital, histoire d’optimiser la chose de l’tuer. Lulu finassait, et prenait plaisir à finasser: de sentir Nera à sa main, ignorant la menace et si vulnérable, ça le faisait bicher, le manouche. Ah il avait voulu le niquer, ben il allait voir, ce putain de calabrais qui serait niqué!...
Depuis bientôt une semaine qu’il le filait, camouflé en plaque d’égout et discrétos, il avait repéré que Fabio Nera se rendait tous les jours, sur l’coup de trois heures d’l’aprème, dans un rade place Clichy, le Petit Poucet, et qu’il s’asseyait en terrasse, semblant attendre quelqu’un ou guetter quelque chose. Cette terrasse, se disait Lulu, c’était vraiment l’endroit idéal pour tirer un zig depuis une moto : il suffisait de descendre doucement l’avenue de Clichy, en venant de la Fourche, de tourner gentiment sur la place, devant le rade qui faisait l’angle, de lâcher la purée sur le bonhomme et de s’enquiller les Batignolles, poignée dans l’coin, direction les Ternes. Du velours. Mario, son frère piloterait, et Forain, son neveu, une gâchette en or, se chargerait d’le rafaler. Lulu, quant à lui, se posterait en terrasse, histoire de bien profiter du canardage : pour Lulu, une belle mise à mort, en public, balle au cœur ou dans la tête, jus d’aorte ou bouts d’cervelle, ça valait toutes les corridas d’Andalousie. Quand, en plus, c’était pour motifs sérieux et personnels, la satisfaction du devoir accompli se mêlait au plaisir de l’esthète.
Y avait maintenant plus de quinze jours, depuis que Lekervelec lui avait balancé Toussaint, que Fabio Nera, aveuglé par la haine vengeresse, cherchait à choper l’antillais pour lui faire la peau. En bon catholique pratiquant, Fabio avait décidé que celui qui avait tué par l’épée, périrait par l’épée, et, à défaut de navaja malagueña, il se baladait avec une dague florentine attachée le long de son mollet, histoire de faire à Toussaint, une boutonnière grand format, du nombril au menton, bien profonde. S’il était bien rencardé - et il l’était - le Nègre Fou devrait tôt ou tard passer au Petit Poucet. Le tout c’était d’être patient. Mais depuis la mort de Gina, il était devenu terriblement patient.
à suivre
« La moto, une Honda sept cent cinquante Four orange venait de tourner en bas de l’avenue, et avait ralenti à la hauteur du café. A ce moment un homme, brun, s'est levé et s’est avancé vers un antillais qui sortait du bar par l’allée entre les tables de la terrasse. Tout en s’approchant, l’homme s'est penché et a sorti un long couteau très fin de sous son pantalon. Il s'est serré contre l’antillais et a planté son couteau dans son ventre et il a remonté jusqu’au cœur. Alors, le passager de la Honda, qui avait un revolver dans la main, est descendu de la moto et a commencé à tirer sur l’homme avec le couteau. Il a tiré trois fois, et les balles ont traversé le corps de l’homme au couteau et celui de l’antillais. Tous les deux sont tombés sur une femme qui s'est mise à hurler. Alors deux autres antillais, qui étaient derrière le premier, celui qui avait été poignardé, ont sorti des pistolets mitrailleurs de leurs vestes, et ils se sont mis à tirer sur le passager de la moto avant qu’il soit remonté dessus, puis sur le conducteur qui commençait à partir sur le boulevard des Batignolles. C’est alors que la moto a zigzagué et a percuté un homme barbu qui traversait le boulevard. Puis un autre homme, qui était assis à la terrasse, derrière l’homme au poignard, s'est levé, a sorti un petit pistolet de sa poche et il a tiré à son tour sur les deux antillais qui sont tombés à côté des premiers morts. L’homme s'est mis à courir vers la moto qui était couchée sur son conducteur, et s’est agenouillé près de lui en pleurant. C’est alors que l’homme barbu que la moto avait percuté et qui s’était relevé en se tenant la jambe, s'est penché vers l’homme au petit pistolet, a sorti un gros poignard de sous sa veste, l’a attrapé par les cheveux et l’a égorgé si fort que sa tête a basculé en arrière. Elle ne tenait plus au corps que par la nuque.»
Garrin, se tut, soupira, posa la feuille dactylographiée sur le bureau et la tourna vers Jeannot, le loufiat du Petit Poucet :
- Bon, voilà. Si vous n’avez rien d’autre à ajouter, signez ici…