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Lavis noir
6 mars 2008

37. La tête de veau

jacquou

37. La tête de veau

Loïc Lekervelec avait frémi aux derniers propos de Miche, et, surtout, le rire de la Gratouille lui avait glacé le sang comme un sorbet Berthillon cassis… Il n’arrivait pas à se défaire d’une certaine image, qu’il avait encore bien présente, où la goussette zigouillait la malheureuse Elo… Même si rien ne permettait à Loïc de soupçonner Miche, sa détestation des femmes de caractère, et Dieu sait si elle entrait dans cette catégorie, lui faisait, contre toute logique, la voir en coupable idéale. Mais force lui était de reconnaître que son sentiment relevait plus de l’inimitié intime que de la perspicacité gendarmesque. C’est donc sans aménité, mais sans malveillance non plus, qu’il répondit à Miche :
- Tu rigoles ! Les flics auraient mangé l’morceau rapidement si ç’avait été l’cas… Non, moi j’crois qu’le couteau il est là ou Elo l’a rangé quand tu lui as donné…
- Possible, Leker’, possible… En attendant j’ai un neveu à la crim’, le fils de ma conasse de frangine qui a marié un huissier d’justice, et bien il m’a raconté que maintenant qu’ils ont flingué Jacquou l’Croquant, ils vont s’occuper un peu du tout venant… Et entre autres du meurtre de la rue Cortot… Et justement, comme il savait qu’je fréquentais un peu Elo, il m’a fait des confidences comme quoi qu’ils avaient rien retrouvé ressemblant de près ou de loin à l’arme du crime et qu’ils étaient bien dans la merde
.
- Ça veut pas dire forcément qu’la navaja est pas là…
- Rien, tu m’entends, rien ! Puisque j’te dis ils ont rien retrouvé de contendant ! T’es le vrai con qu’entend pas, toi, merde!

Et sur ce Miche éclata à nouveau de rire et se leva, en poussant délicatement le ticket de la douloureuse vers Lekervelec… En enfilant son manteau, une jolie peau d’panthère en acrylique, parfaitement assortie à ses cheveux roses, la Gratouille lança:
- Ah, au fait, j’allais oublier, j’tai pas dit pour le lavis… En définitive j’l’ai confié, pas plus tard que 't’à l’heure à un type qui touche question art et qui est pas trop regardant sur la provenance… un rital de Buzenval, dans l’vingtième… Fabio Nera, il s’appelle. Tu connais ?...
Loïc blêmit, faillit s’étrangler et bégaya :

- Fabio ?... Euh ça… ça m’dit quelque chose, 'fectivement.. oui… j’crois qu’il rode un peu au P’tit Bat’, le bistro où Josy fait ses matinées…
- Bon, ben, de toutes manières, j’te tiendrais au courant, vu qu’tu t’es un peu intéressé au truc! Et si j’touche le paquet, j’penserais à ton fond d’compensation! Allez, salut!
- Oui… au revoir, Miche…

Au moins, comme ça Lekervelec savait à quoi s’en tenir pour ce qui était de la présence pas fortuite de Fabio dans l’coin. Maintenant le rital avait les deux faux lavis en main… Il ne lui serait pas difficile d’en comparer la facture pour le moins identique, et d’en déduire des choses…

Loïc finit par sourire tristement à son reflet dans le miroir du Nord Sud: tant de poisse poisseuse lui paraissait à peine possible… Même l’auteur de polar le plus échevelé n’aurait pu imaginer une telle succession de coups d’pas d’bol… Et du coup, Loïc se mit à voir sa vie comme un roman… Son quotidien était devenu le théâtre d’une épopée sublime, dont Lulu, Miche, Fabio, Toussaint, Elo, même, étaient les personnages que le Destin, son Destin, mettait sur la route pavée d’épreuves qui mène à la félicité et à la richesse… Loïc le Lyrique se la jouait façon Monfreid.

Josy - pauvre agnelle - qui était de service dans l’arrière salle, comme d’habitude, s’approcha de sa table et interrompit sa réflexion:
- Ce midi y avait de la tête de veau sauce gribiche en plat du jour… J’ai demandé au chef de m’en mettre une belle portion de côté, pour ce soir… Tu rentres pas trop tard, dis, Kerounet?...
- Tu sais quoi Josette? Ta tête de veau tu peux te la carrer dans l’oignon… parce que moi j’ai un Destin, et mon Destin, j’t’le dis, c’est pas d'la tête de veau!… Merde, quoi!

Josy, pauvre, pauvre agnelle, éclata en sanglots et courut se réfugier aux toilettes: c’était la première fois que Loïc l’appelait Josette.

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Commentaires
B
@Shaggoo: bon courage!<br /> @stephan: c'est une putain de bonne question...<br /> @tous: bon ouique.
S
j'hadère tout de suite au syndicat des artistes poussifs et alors là vient directement la question cruciale : qu'est ce que c'est un artiste? ...
S
Bon je m'y colle ce samedi matin. C'est fou, je me met à causer comme ici, moi, avec un rien de parigot dans l'accent de circonstance... :)
B
Au cas où, Shaggoo ('tain, j'ai encore failli louper les deux g) y a un lien chronologique à droite, gentiment mis à dispo par mon alcoolyte SPT...
S
Arrivé ici suite au commentaire d'un certain Briscard... La vache ! Va falloir tout me taper depuis le début, si je comprend bien. On ne lui dit pas merci au Briscard ! :)
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