50 - Les anémones
50 - Les anémones
Loïc appuya sur le bouton de la sonnette qui ne sonna pas. Il entreprit alors de frapper à la porte, quelques coups discrets, d’abord, puis, devant l’inefficacité de la manœuvre, il tapa plus franchement, en s’aidant de la jolie chevalière tête de mort, qu’il avait chaussée pour l’occasion. Parce que, l’occasion, elle méritait un peu la frime et l’apparat… Il s’était dit comme ça que, vu la tournure que prenaient les évènements, avec Toussaint au cul, valait mieux qu’il se mette au frais un moment. Comme il voulait pas quitter Paris sans essayer de récupérer de la thune à Lulu, il lui fallait une planque à peu près sûre, si possible dans l’coin, mais pas trop près d’la place Clichy, pour cause de Nègre Fou ! Alors, après avoir bien fait le tour de ses relations de confiance, il n’avait trouvé qu’une soluce à son problème : Josy. Ce gros saligaud de Lekervelec repartait à la reconquête de Josy, sans souci de la redondance ni de l’inconvenance.
Et voilà pourquoi Loïc Lekervelec, immonde ignoble et infâme, se tenait debout, toute honte bue, devant la porte du petit deux pièces à Josy, rue du Roi d’Alger, un bouquet d’anémones à la main. Josy - pauvre agnelle - lui avait dit un jour que ses fleurs préférées, c’étaient les anémones. En réalité les fleurs préférées de Josy, c’étaient les lys odoriférants, mais elle savait que c’était beaucoup trop cher pour Loïc, alors elle avait dit les anémones, parce que les anémones c’est quand même joli et c’est plus abordable. Pour autant, tout le temps qu’avait duré leur liaison, jamais Loïc ne lui avait offert de fleurs, ni anémones, ni lys, ni quoi que ce fût qui eut pu ressembler, de près ou de loin, à une fleur! Le seul cadeau qu’elle se rappelait avoir reçu, de celui qu’elle n’appelait plus désormais que Lekervémerde, c’était une bague qu’il avait gagné au Big Bingo, la loterie pourrie qui s’installait l’hiver, boulevard Rochechouart, entre le Texas Tir et le Choc Car, et qu’il lui avait offert, un jour au Nord Sud, comme venant du comptoir Joffrin, rue Hermel. Josy - pauvre agnelle - l’avait cru et avait été se cacher dans les caczingues du bistro, pour pleurer de bonheur.
Loïc l’Antipathique frappa à nouveau, impatient, sur la porte écaillée du modeste logis à Josy ; à l’intérieur il entendait l’eau couler dans l’évier et des bruits étouffés: Josy ne l’avait peut-être pas entendu ou alors elle ne voulait peut-être pas répondre… Ou peut-être était-elle en train de se laver, nue, comme il l’avait souvent vue faire, dans la misérable bassine en tôle, qui lui tenait lieu de salle de bain et de lave linge. Mais il ne s’attendrit pourtant pas, à l’évocation de la scène, car, décidemment, il se trouvait vraiment l’air con, sur ce palier de merde, avec son p’tit bouquet à la main, et il commençait déjà à regretter cet achat somptuaire dont, en plus, il n’était même pas sûr qu’il puisse lui permettre de retrouver les faveurs de Josy.
Alors qu’il commençait à s’énerver et s’apprêtait à filer de coups de latte dans la porte, un vacarme infernal se fit entendre à travers la porte, puis des geignements et des ahanements : à tous les coups Josy s’envoyait en l’air avec un son happy suppléant! Loïc, sans vergogne, pensa « putain, la salope ». Et c’est d’ailleurs exactement ce que gueula le mec qui était à l’intérieur quand il s’extirpa à l’extérieur, en fracassant la lourde, avec un schlass de bonnes dimensions planté dans le bras. Quant à Josy elle n’était pas tout à fait nue puisqu’elle avait une culotte Dim et les seins couverts de sang. Elle tituba en direction de Loïc qui put juste ralentir sa chute sur le lino gris. Il put ainsi constater que sa gorge n’était pas complètement ouverte, puisque sa tête ne se décolla pas. Allongée, Josy regardait Loïc :
- C’est gentil d’être venu… Oh elles sont belles, tes fleurs… J’adore les anémones…
(à suivre...)